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Paris sous les tropiques

Cette année, la 17ème édition de Nuit Blanche a occupé des lieux inhabituels à Paris la nuit du 6 au 7 octobre. Une horde de plantes tropicales a déambulé parmi les passagers de la ligne 1 du métro. Reportage.

Elles sont pleines d’entrain, l’ambiance est bon enfant. D’un quai à l’autre de la Porte de Vincennes, d’un métro au suivant, les plantes tropicales se meuvent avec fluidité. D’un vert éclatant, aux nervures violettes ou indigo, parfois bordées de rouge sang, elles s’avancent parmi la foule. Les performeurs disparaissaient derrière les végétaux. Puis des rires nerveux, des regards complices ou des paroles jetées en l’air font surface. Cette vingtaine de jeunes a l’air sortie de nulle part : reviennent-ils d’une grande vente de plantes ou d’une manifestation écolo?

Rien de tout cela, il s’agit en fait de la “Jungle urbaine” imaginée par Florian Viel lors de la 17ème édition de la Nuit Blanche. Le jeune artiste présente ce soir là sa première performance sur un thème qui lui est cher : le tropicalisme. Le temps d’une nuit, les passagers de la ligne 1 sont invités à penser cette notion alternative à l’exotisme, “moins ancrée dans une vision du dehors ou de l’étranger”, loin des clichés véhiculés par les magazines déco et mode.

Une procession pour la vie

Florian Viel mène la da  de façon très naturelle. Une jeune femme traîne une petite enceinte jouant des sonorités techno-tribales curieusement apaisantes. Cela crée un petit univers verdoyant qui berce les passagers. Les spectateurs n’assistent pas à une performance dansée ou jouée qui accaparerait toute leur attention. Les performeurs ne sont pas nus. La performance n’est ni engagée ni militante. L’hymne à la nature de ce soir est plus subtile, moins rentre-dedans. Elle s’apparente davantage à celle plus paisible d’un camp d’été. Les jeunes se déplacent de métro en métro et pris dans ce mouvement perpétuel, les notions de temps et d’espace se dissipent. Ces plantes venues d’un autre bout du monde exhibent leurs vifs coloris, défiant la froideur urbaine. C’est une procession d’un genre nouveau, une procession pour la vie dans toute son exubérance.

Des performeurs comme tout le monde

S’ils ne trainaient pas de plantes tropicales, les performeurs pourraient parfaitement se mêler à la foule. Âgés entre 18 à 30 ans, ils semblent très bien connaître le métro parisien. Beaucoup se sont habillés en vert sans qu’il y ait eu une consigne, comme animés par un subconscient collectif. ”Je voulais des performeurs qui ressemblent à n’importe quel passager pour que chacun puisse s’identifier« , nous confie Florian Viel. Il a le teint hâlé comme pour rappeler ses nombreux voyages, notamment au Mexique où il s’est un jour perdu dans la jungle. Une expérience qui a été source d’inspiration pour lui. Beaucoup se sont habillés en vert sans qu’il y ait eu une consigne, comme animés par un subconscient collectif.  

Entre deux stations de métro, Justine, l’une des performeuses, raconte son expérience de la “Jungle urbaine” : “J’ai reçu une annonce pour participer à un projet artistique par e-mail, je me suis dit “tiens c’est un bon plan”… Quand on m’a dit que j’allais porter une plante, j’étais encore plus motivée !” s’exclame la jeune fille aux yeux bleus et expressifs. Elle fait des études d’art, comme une bonne partie des performeurs. Coïncidence ou volonté de l’artiste ? Un peu des deux, car si Florian ne cherchait pas forcément des profils artistiques, c’était plus simple d’un point de vue administratif. Vient le sujet de la rémunération. Justine hésite un peu. Embarrassée, elle consulte un ami à côté d’elle avant de nous lâcher : “300 euros la nuit.

Une curiosité éphémère

Face à cette invasion de plantes vertes au sein des rames de métro, les réactions diffèrent. Souvent, les voyageurs ont l’air quelque peu surpris mais ils reviennent vite à leurs besognes. Un homme lit son journal, une adolescente a les yeux rivés sur son smartphone. Un chien, calmement assis sur les genoux de son humaine, est en parfaite osmose avec la végétation et la musique ambiante. Au sortir du métro, une femme en tailleur gris et brun est enthousiasmée par ce qu’elle a vu : “Je travaille beaucoup, je n’ai pas le temps d’aller aux expositions car je reviens crevée du travail. Mais avec cette expérience, c’est Nuit Blanche qui vient à nous !”.

Sur la dalle du métro, des maisonnettes en verre abritent des plantes tropicales éclairées de l’intérieur par des spots colorés. Une tiédeur émane des fenêtres rappelant des climats lointains. Cette installation attire davantage l’attention des passants. Ils s’arrêtent, jettent un coup d’œil, sourient. Certains s’attardent, contemplent, tergiversent. “C’est un petit échantillon de tropicalisme à Paris” explique un homme d’un âge avancé. Sa femme est encore plus inspirée : “J’aime le contraste entre l’urbanisme et la sauvagerie des plantes. Au quotidien, on est coincés entre les immeubles et les transports, on étouffe. Ces plantes c’est la vie exubérante et la liberté qui triomphent de tout malgré les difficultés. C’est une poésie urbaine !”.

Alizée Le Diot et F.B