Culture / Enquêtes / Littérature

Les auteurs : une espèce en voie d’extinction ?

Loin du microcosme des best-sellers, les écrivains peinent souvent à vivre de leur plume. La réforme du régime social des auteurs vient fragiliser un statut déjà précaire.

“Auteur professionnel : un métier, un statut, un avenir incertain” : c’est autour de ce thème que se tient une table ronde sur le stand du Centre National du Livre (CNL), à l’occasion du Salon Livre Paris. Samantha Bailly ouvre le débat : “Ce n’est pas parce que nous avons la chance de faire un métier qui nous passionne que nous devons pour autant accepter des souffrances psychiques, des conditions sociales désastreuses et des casses-têtes administratifs interminables”.

L’autrice jeunesse et présidente de la Ligue des Auteurs Professionnels, connue sur Youtube pour ses vidéos sur les réalités du métier, se lance dans une diatribe : elle dénonce les conditions précaires de la majorité des auteurs au statut vacillant, oubliés de la sécurité sociale et soumis à des réformes non concertées. S’ensuit un grand moment de gêne, les intervenants autour de la table ronde restent silencieux. Ces quelques minutes résument bien le malaise autour de la question du statut des auteurs.

Un statut particulier

Selon la juriste Clémentine Béhar, l’auteur est « celui qui détient les droits d’auteur sur une œuvre de l’esprit au sens du code de la propriété intellectuelle ». Dans la mesure où ils n’ont pas de contrat de travail à proprement parler mais des contrats d’édition, les auteurs ne sont ni salariés, ni indépendants, ni intermittents.

Ce statut incertain ouvre sur un régime social tout aussi incohérent. A l’instar des salariés, les auteurs cotisent pour la sécurité sociale en contribuant à l’assurance retraite, la CSG (Contribution Sociale Généralisée), la CRDS (Contribution à la Réduction de la Dette Sociale) et la CFP (Contribution à la Formation Professionnelle). Aucune compensation n’est prévue pour les auteurs avec l’augmentation de la CSG. De même, la TVA sur les droits des auteurs est passée de 7% à 10% en 2013. Qu’obtiennent les auteurs en contrepartie ? L’AGESSA (Association pour la Gestion de la Sécurité Sociale des Auteurs) et la Maison des Artistes se chargent de faire le lien entre les artistes-auteurs et la sécurité sociale. Cependant, il faut gagner au moins 8892 euros par an pour être affilié, dans une profession où plus de 90% gagnent moins que le SMIC (Chiffre du Ministère de la Culture en 2016). Il en résulte qu’une bonne partie des auteurs sont mal protégés socialement, sans droit au chômage, aux accidents du travail, ni aux congés payés.

Un rapport de force inégal

Dans les débats sur les conditions des écrivains, les éditeurs sont souvent pointés du doigt. La Ligue des Auteurs Professionnels parle d’un rapport déséquilibré entre auteurs et éditeurs. Ces derniers imposent leurs conditions aux auteurs, aussi bien concernant le pourcentage des droits d’auteurs que la présentation de l’oeuvre. De plus, les éditeurs peuvent souvent, pour le même prix, exiger la cession des droits numériques et audiovisuels.

Les conditions de rémunération et les contrats d’édition s’avèrent différents d’une maison d’édition à une autre, ce qui accentue l’hétérogénéité au sein des différentes catégories d’auteurs. Maiwenn Alix, autrice littérature jeunesse chez Milan à plein temps depuis 2018, qui se définit comme « débutante » reconnaît qu’elle a eu de la chance d’être tombée sur un éditeur qui offre de bonnes conditions de rémunération. Ce n’est pas le cas pour toutes les maisons d’éditions, explique-t-elle : « lorsqu’on commence en tant qu’auteur, on est un individu face à une entreprise qui a les moyens de sélectionner les manuscrits. Difficile d’oser négocier ses droits. Les à-valoir et les conditions de rémunération sont communiqués une fois que le manuscrit est accepté et on a pas forcément de points de références et de comparaison pour savoir ce que l’on est en droit d’espérer ».

Des réformes sociales controversées

Pour ne rien arranger, le gouvernement a enclenché une réforme du régime social des auteurs depuis le 1er janvier 2019 nommant l’URSSAF comme principal interlocuteur, ce qui pourrait entraîner la disparition de la maison des Artistes et de l’Agessa. Le statut particulier d’auteur va-t-il disparaître ? Ce point reste en suspens. Christian Vila du Syndicat des Écrivains de Langue Française (SELF), exprime son attachement à un véritable statut d’auteur : “Nous craignons d’être intégrés au régime des indépendants qui serait mal adapté et défavorable.”

Le prélèvement de l’impôt à la source mis en vigueur au 1er janvier 2019 suscite également des inquiétudes dans la mesure où les revenus des auteurs sont imprévisibles. La possibilité de faire des ajustements paraît compliquée puisque les services fiscaux semblent déjà dépassés, à en croire le SNAP-CGT. Clémentine Béhar conclut que : « Comme dans beaucoup de professions, la réforme inquiète de par sa nouveauté et le risque la pression fiscale ».

#Payetonauteur

Alors que cela fait déjà cinq ans que les auteurs demandent une meilleure prise en considération de la diversité de leur situation, la hausse de la CSG non compensée et les réformes fiscales et sociales ne font qu’accentuer l’inquiétude des auteurs. Le jeudi 21 juin 2018, 200 auteurs manifestaient devant le ministère de la Culture. Un rassemblement inédit pour une profession aussi individualiste. Christian Vila nous confie : “C’est difficile de mobiliser les auteurs. Ils sont concurrents, ils devraient être plus solidaires.”

Pourtant, sous les hashtags #PayeTonAuteur et #PlumePasTonAuteur, les écrivains se rassemblent bel et bien. Ils dénoncent la précarisation du métier. C’est surtout le cas pour les auteurs et illustrateurs jeunesses qui touchent moins de 5% de droits sur le prix d’un livre. Pour d’autres plumes, le seuil des 12% a été revu à la baisse depuis longtemps, les droits d’auteurs dépassent à peine les 7% en moyenne sur la vente d’un livre de fiction.

Alors que Franck Riester a succédé à Françoise Nyssen au ministère de la Culture et que les réformes prévues par le gouvernement sont loin de satisfaire les auteurs, l’enjeu reste de taille. Dans son premier bulletin en mars 2019, la Ligue des auteurs professionnels s’inquiète : « Nos conditions de vie et de travail ne s’amélioreront pas, voire se dégraderont encore, si aucune réponse n’est apportée à la question essentielle que pose la Ligue : quand est-ce que les acteurs du livre et les pouvoirs publics agiront-ils pour qu’écrire, dessiner et traduire reste un métier ? ».

Alizée Le Diot et F.B